Injonctions ministérielles et école rétrograde

(actualisé le )

Des nouveaux programmes du lycée à l’évaluationnite et à la hiérarchisation aiguës dans le premier degré en passant par la réforme de l’enseignement professionnel ou la dégradation des conditions de travail au collège, la politique éducative du gouvernement montre son idéologie autoritaire et rétrograde. Le projet de loi Blanquer est en complète cohérence avec cette dérive inégalitaire. Non à l’école du tri social !


Le ministre se fiche de l’avis du CSE sur les programmes

Le Conseil supérieur de l’Education (CSE) a un rôle consultatif. Il a donc été consulté sur les programmes du lycée général et technologique. Un peu moins de 60 membres ont siégé et voté sur chacun des programmes.

La présentation des programmes a donné lieu à 37 votes, aucun n’a obtenu la majorité absolue. Certains programmes ont obtenu un vote favorable grâce à de nombreuses abstentions. En revanche, le tronc commun et les enseignements de spécialité des séries générales ne sont pas passés, parfois de façon spectaculaire : SES (50 voix contre, aucune pour), Histoire Géographie (47 contre, 1 pour), EMC (41 contre, 0 pour), Français (41 contre, 2 pour)… Ce n’est plus un rejet, c’est un désaveu [1].

Malgré cela, le décret est bien paru le 20 janvier au Journal Officiel, dans des conditions étonnantes. Mais ce n’est qu’un élément de la dérive autoritaire et réactionnaire du gouvernement en termes d’éducation.

Loi Blanquer : faire taire les personnels ?

En effet, le projet de Loi Blanquer présenté à l’Assemblée nationale, malgré les affirmations du ministère qu’il n’y aurait pas de "loi Blanquer", est un concentré des dérives constatées depuis que le ministre met en pratique sa conception de l’école.

Un projet autoritaire et rétrograde (dossier de la fédération SUD éducation)

SUD éducation a formulé ses inquiétudes quant aux conséquences de ce projet d’école, pour les personnels comme pour le service public d’éducation. SUD éducation a voté contre le projet de loi en CSE, et a également refusé de jouer au jeu nuisible des amendements : le texte présenté à l’Assemblée n’est pas amendable, il est à rejeter dans son intégralité [2].

Dès l’article 1, on constate en effet une volonté de museler les personnels : il prévoit d’insérer un article L. 111-3-1 dans le Code de l’éducation, qui serait ainsi rédigé : « Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. »

L’étude d’impact du projet de loi fourni par le ministère aux député·e·s éclaire singulièrement sur ce que Blanquer appelle la confiance : le document évoque des « affaires disciplinaires concernant des personnels de l’éducation nationale s’étant rendus coupables de faits portant atteinte à la réputation du service public ». La hiérarchie pourrait ainsi tenter de faire taire les personnels qui donneraient leur avis sur l’organisation de l’institution ou les réformes, alors que jusqu’à présent les fonctionnaires ont la garantie de la liberté d’opinion et d’expression. Or pour l’instant, quoi que prétendent certain·ne·s chef·fe·s, le devoir de réserve n’existe pas [3].

Même si cet article passe, les libertés fondamentales restent. SUD éducation Nord soutient et soutiendra donc tous les personnels si la hiérarchie ne respecte par leur droit d’opinion et d’expression.

Favoriser le privé, renforcer la hiérarchie

Les autres mesures cachent mal le projet d’école du ministre. La scolarisation obligatoire à 3 ans prévue par l’article 3 de la loi n’est pas une mesure progressiste, car plus de 98 % des enfants de cette tranche d’âge sont déjà scolarisé·e·s ; en revanche, l’article 4 prévoit le financement des écoles maternelles privées dès 3 ans. Ces deux articles constituent donc un cadeau de plusieurs dizaines de millions d’euros fait au secteur privé.

Un amendement adopté prévoit désormais (article 6 quater) la création « d’établissements publics des savoirs fondamentaux ». Les collectivités territoriales auront la possibilité de regrouper les classes d’un collège et d’une ou plusieurs écoles situées dans « le même bassin de vie ». Après les regroupements d’écoles, il s’agit d’une étape de plus vers la fermeture des écoles rurales. Ce projet est en cohérence avec le projet de réforme des directions d’écoles. Les enseignant-e-s des écoles seraient placé-e-s sous l’autorité hiérarchique de la direction du collège.

Casse des statuts, bas salaires, austérité

L’article 14 du projet de loi prévoit que les assistant·e·s d’éducation qui préparent les concours de l’enseignement pourront se voir confier des tâches d’enseignement. SUD éducation refuse catégoriquement cette évolution, pour plusieurs raisons :

  • elle conduit à un renforcement de la précarisation de l’éducation nationale, avec la création d’un sous-statut de professeur·e ;
  • elle s’inscrit dans un projet de casse du concours et du statut, avec la mise en œuvre d’une formation destinée à déboucher sur un recrutement direct par les chef·fe·s d’établissement ;
  • elle décline une forme inédite d’austérité budgétaire, avec une rémunération de l’heure de cours scandaleusement basse.

De même, quelles que soient les annonces ministérielles sur la création d’un métier d’AESH, elles ne prévoient pas de poste de titulaire mais au mieux un CDI au bout d’un moment, payé au SMIC sans reconnaissance pécuniaire des compétences des collègues, et au sein de « Pôles d’inclusion » dont la création fait craindre une logique d’économies d’échelle qui aura des conséquences en termes de conditions de travail. Derrière un discours qui se prétend au service des élèves, ces mesures constituent des régressions importantes tant pour les personnels que les usager·e·s [4].

Reprise en main autoritaire de l’institution

Parallèlement, le projet de loi prévoit la reprise en main par le ministère de la formation des enseignant·e·s : les directeurs/trices des futurs Instituts nationaux supérieurs du Professorat et de l’Éducation (INSPÉ) seront directement désigné·e·s par l’autorité rectorale et le volet universitaire sera affaibli : cela montre clairement la volonté d’imposer les dogmes ministériels en matière pédagogique dès la formation.

SUD éducation revendique au contraire la titularisation immédiate de tous les personnels, et une entrée progressive dans le métier avec le statut de fonctionnaire. Dans ce cadre, SUD éducation revendique une formation initiale et continue de qualité des enseignant·e·s, respectueuse de la liberté pédagogique et s’appuyant sur les échanges entre pairs.

Pour parfaire le renforcement autoritaire, l’article 18 du texte prévoit une modification des CDEN et CAEN [5], avec la possibilité pour le gouvernement de légiférer par ordonnances sur ces Conseils. Il s’agit peut-être éviter ainsi de trop informer les personnes pour qu’elles ne protestent pas trop.

En somme, ce projet de loi est d’une grande cohérence idéologique. Il articule l’autoritarisme du gouvernement et du ministre de l’Éducation nationale avec leur dogme ultra-libéral. À l’opposé de ces réformes délétères du système éducatif, SUD éducation revendique un plan massif d’investissement pour l’école et les recrutements à la hauteur des besoins, pour une école laïque, égalitaire et émancipatrice pour toutes et tous, de la maternelle à l’université.


Références et communiqués

 Projet de Loi Blanquer rétrograde et autoritaire, l’analyse de SUD éducation
 Nouveaux programmes et injonctions ministérielles, en version intégrale sur Questions de classe(s)
 Déclaration de SUD éducation et Solidaires au CSE du 5 février
 La réforme du lycée à l’épreuve de sa mise en œuvre : et maintenant, on se mobilise !
 AESH : face aux attaques, amplifions la mobilisation
 Évaluations nationales en CP : SUD éducation propose des modalités d’action
 Pas de supérieur hiérarchique à l’école, communiqué unitaire et tract SUD éducation
 École inclusive, un projet délétère pour les élèves et les personnels : analyse de SUD éducation
 Il est urgent de se mobiliser pour l’enseignement professionnel
 Suppressions de postes, réformes Blanquer : amplifions les mobilisations



Notes

[1En lire plus sur Questions de Classe(s).

[2Vous pouvez retrouver les déclarations de la fédération des syndicats SUD éducation au Conseil supérieur de l’Éducation (CSE) en ligne ici.

[3Le Conseil d’État a émis des réserves sur la constitutionnalité de cet article.

[5Le Conseil départemental de l’Education nationale, et le Conseil académique de l’éducation nationale sont des conseils consultatifs composés d’élu·e·s, de personnels et usager·e·s, qui examinent et peuvent émettre des vœux sur le schéma prévisionnel des formations, le programme d’investissements, les subventions de fonctionnements, la formation continue des adultes... C’est dans ces conseils que l’administration est obligée d’informer personnels et associations de parents d’élèves des projets concernant la carte scolaire. À propos des structures consultatives et des structures de concertation.